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Kolam, an ephemeral women’s art of South India

Exposition de Claudia Silva

Juin-juillet 2019

Inaugurée dans le cadre de LA NUIT SCIENCES & LETTRES à l’École normale supérieure, l’exposition présente jusqu’au vendredi 26 juillet 2019 une série de photographies sur les motifs de Kolam, cet art traditionnel féminin du sud de l’Inde qui relève de l’ethnomathématique.

Claudia Silva, photographe, vidéaste et chercheuse indépendante, a développé Kolam : An Ephemeral Women’s Art of South India lors de voyages au Tamil Nadu de 2012 à 2019. Ce projet s’inscrit dans le cadre de sa recherche audiovisuelle sur les pratiques traditionnelles dans différentes parties du monde et leur valeur anthropologique. Son travail est centré sur la relation entre l’art, l’éducation et la science. Originaire de Bogota, Colombie, elle vit actuellement à Madrid.

L’exposition a également été montrée à l’Institut des sciences mathématiques (ICMAT) de Madrid, la bibliothèque scientifique de l’Université de Porto, le Wolfson College (Université d’Oxford) et le Simons Center for Geometry and Physics (Stony Brook University), New York.

Tous les matins au lever du soleil dans l’État du Tamil Nadu, au sud de l’Inde, se déroule une activité qui orne le seuil de nombreuses maisons : le dessin des kolams. Dessiner ces figures symétriques complexes est traditionnellement une pratique féminine, dont le but principal est d’accueillir la journée et de recevoir la bénédiction des dieux sur les demeures.
Un kolam est fait essentiellement à partir de poudre de riz blanc. Par le flux même de la vie qui entre, sort et franchit le seuil de la maison au cours de la journée, le kolam s’efface, faisant de cette précieuse création une forme d’art périssable. Le lendemain matin, il est recommencé, et le cycle continue, jour après jour.
Les origines de cette pratique traditionnelle sont incertaines. La plus ancienne référence textuelle au kolam se trouve sur une inscription du XIIIe siècle à Tirunelveli. Le professeur Gift Siromoney, l’un des premiers érudits à travailler sur les motifs du kolam, a souligné que « les premières références au dessin du kolam dans les œuvres littéraires tamoules se trouvent à Madurai Meenakshiammai Kuram (XVIe siècle) et, plus tard, à Thiru Kutraala Kuravanji (XVIIe siècle). Ces références comprennent une description du mode de préparation de la surface avant la construction des motifs kolam ».

Un art éphémère

Le Kolam est un art consistant à dessiner au sol des figures symétriques avec de la farine de riz blanc, de la pâte de farine de riz, de la pâte de brique rouge ou de la poudre de craie. Ces symboles de bon augure sont des dessins géométriques, composés de boucles dessinées parfois autour d’une grille de points, ou à main levée.

Il existe plusieurs types de kolams. Dans l’approche la plus courante, les points, appelés pulli, sont disposés en forme carrée, rhombique, triangulaire ou libre, et une seule ligne ininterrompue, droite ou curviligne, entrelace les points. D’autres kolams sont placés sans grille de points et sont constitués d’une ou de plusieurs courbes continues fermées. Celles-ci sont associées à la continuité et à des cycles infinis. Une autre forme de kolam est créée en dessinant des images symétriques représentant des objets de la nature, comme des feuilles de mangue, des fleurs de lotus et des animaux.

Populaire dans le sud de l’Inde, où cette activité a lieu tous les matins, le dessin du kolam porte différents noms dans d’autres régions du pays, tels que : aipan, golam, muggu ou rangoli, qui signifie « celui qui est coloré à l’intérieur ». Les propriétés de la symétrie sont des règles intuitivement connues par les femmes qui « posent » des kolams sur le sol.

La farine de riz blanc utilisée pour dessiner un kolam coule des doigts de l’artiste, suivant l’idée qu’elle a à l’esprit, produisant une variété de dessins. La décoration n’est pas le but principal d’un kolam. C’est surtout un symbole d’invitation pour accueillir tous les êtres à la maison : de Lakshmi – déesse de la prospérité et de la richesse – au Dieu Soleil, et aux petits insectes et oiseaux qui se nourrissent de la farine de riz. Cet acte est aussi un hommage quotidien à la coexistence harmonieuse. Un kolam est également une proclamation d’événements familiaux : mariages, naissances, célébrations, alors que leur absence peut indiquer une maladie ou le décès d’un parent.

La technique utilisée pour créer un kolam exige un équilibre minutieux entre précision et fluidité. Chaque dessin est exécuté au sol et est donc destiné à s’estomper au cours de la journée. Cette qualité éphémère peut aussi être perçue comme une façon de comprendre la vie. Elle peut être considérée comme une métaphore de l’éternité, et donc de la valeur, du moment présent. Ainsi, la concentration totale au moment du dessin d’un kolam permet à l’art et à la beauté de circuler comme une méditation, de manière créative.

Une tradition et une éducation féminines

Depuis des générations, les femmes et les filles de chaque famille dessinent des kolams devant leur maison. Chaque jour au lever du soleil, elles balaient leurs seuils et les arrosent d’une solution de bouse de vache et d’eau – ces solutions symbolisent la purification et la préparation pour ce dessin spirituel. Puis elles « posent » le kolam du jour.

Apprendre à dessiner les kolams dès le plus jeune âge est un aspect important de l’éducation en Inde du Sud, surtout pour les filles. Au fur et à mesure qu’elles grandissent et que leurs capacités cognitives se développent, elles continuent à apprendre des autres femmes de leur famille, et les kolams deviennent de plus en plus complexes : un plus grand nombre de points et d’orbites de lignes sont ajoutés. Se souvenir d’eux est un exercice quotidien de pensée géométrique et aide en même temps à développer des outils visuels, spatiaux et algébriques. Chaque famille a ses propres modèles et le même kolam est rarement répété au cours d’un mois.

L’énergie divine qui déplace les rythmes du temps et de l’espace dans la tradition hindoue est appelée énergie Shakti (ou Prakriti). Shakti est, à son tour, le nom d’une déesse et signifie « pouvoir ». Dans ce contexte, cette énergie est particulièrement liée au pouvoir divin du féminin, qui se caractérise par sa capacité à créer et à détruire. Toutes les femmes partagent les qualités de la déesse Shakti, et par l’élaboration du kolam, elles deviennent un canal d’énergie divine dans la vie sociale.

L’élaboration de chaque kolam est un moment d’intimité, de concentration et de créativité pour les femmes, qui s’effectue largement de mémoire. Ainsi, par des mouvements rythmiques et fluides, ils expriment, sur le terrain, la complexité de leurs créations : certaines inspirées par la nature – feuilles, fruits, animaux –, d’autres par la divinité.

Les femmes qui dessinent les kolams ne sont pas particulièrement conscientes de leur aspect mathématique, mais leur capacité d’abstraction et de compréhension spatiale est un outil profondément enraciné qui s’affine au fil des années dans cette pratique traditionnelle. De nombreuses écoles en Inde sont encouragées à introduire l’enseignement du kolam en raison des nombreux avantages que cette pratique peut apporter aux enfants, comme l’observation, la discipline mentale, la capacité de concentration et la créativité, entre autres. Transmettre cette pratique d’une génération à l’autre, c’est élargir le lien qui maintient une identité culturelle vivante où les femmes expriment leur créativité jour après jour.

Ainsi, le kolam est l’expression d’un langage artistique qui unit toutes les femmes du sud de l’Inde. C’est une tradition pratiquée avec dévotion aux portes des maisons les plus humbles des villages reculés, ainsi qu’à l’entrée des grands bâtiments et des maisons en milieu urbain.

Kolam et mathématiques

La tradition des kolams est particulièrement intéressante d’un point de vue mathématique. Ces dessins rituels suggèrent des relations avec la topologie, la géométrie, l’algèbre, la théorie des nombres et d’autres domaines des mathématiques. La symétrie, et donc la théorie des groupes, joue un rôle important dans la plupart des modèles de kolam. De nombreux kolams impliquent également des motifs répétés, suggérant la construction mathématique des fractales. La connexion des pulli et kambi kolams à la théorie des graphes est très pertinente, en particulier aux graphes d’Euler, qui consiste très souvent en une ligne ininterrompue (kambi) contournant une configuration de points (pulli).

Les kolams ont également des liens importants avec l’informatique. L’informaticien Gift Siromoney et son groupe de Madras ont beaucoup étudié l’utilisation des kolams dans le développement des langages d’image, c’est-à-dire l’analyse formelle et la description des images. Ces langages sont essentiellement des énoncés concis d’algorithmes ou de formules pour générer des images, semblables aux langages naturels et aux langages informatiques, qui se rapportent aux langages formels étudiés par le linguiste Noam Chomsky et aux travaux du biologiste Aristid Lindenmayer, qui s’est intéressé à la modélisation de la croissance végétale.

L’étude des kolams relève naturellement du domaine des « ethno-mathématiques ». Ce terme, introduit à la fin des années 1970 par le mathématicien brésilien Ubiratan D´Ambrosio, peut être défini comme la relation entre les mathématiques et la culture, souvent associée aux cultures sans langue écrite. Selon les mots de Marcia Ascher, qui avec Robert Ascher a apporté des contributions très importantes à ce domaine, c’est « l’étude des idées mathématiques des peuples traditionnels ». Plus précisément, comme l’exprime l’ethno-mathématicien néerlandais Paulus Gerdes, elle peut être décrite comme l’étude des idées et des activités mathématiques intégrées dans leur contexte culturel, contrairement à l’approche « sans culture » et « universelle » des mathématiques qui domine dans le monde universitaire.

Le kolam est un excellent exemple de la façon dont les idées mathématiques, dans un cadre traditionnel, peuvent dépasser leurs propres frontières culturelles pour enrichir et contribuer aux intérêts académiques. Les kolams représentent ainsi une belle fusion entre l’art et la science, la religion et la philosophie, l’éternel et l’éphémère, le matériel et le spirituel.

Bibliographie

Ascher, M. (2002), The kolam Tradition, American Scientist, Vol.90, January-February 2002, 56-61.
Ascher, M., (1991), Ethnomathematics: A Multicultural View of Mathematical Ideas. Pacific Grove, Calif.: Brooks/Cole.
Chenulu, S. (2007), Teaching mathematics through the art of kolam, Mathematics Teaching in the Middle School, 12(8), 422-428.
D’Ambrosio, U. (1985), Ethnomathematics and its place in the history and pedagogy of mathematics, For the Learning of Mathematics, 5(1), 44– 48.
Narasimhan, R. (1992), The oral-literate dimension in Indian culture, Indological Essays, Commemorative Volume II for Gift Siromoney, ed. Michael Lockwood, Madras Christian College, 67-79.
Siromoney, G. (1978), South Indian kolam patterns, Kalakshetra Quarterly, 1, No. 1, 1978, 9-14 [consultable en ligne]
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Thirumurty V. & Simic-Muller, K. (2012), Kolam: Mathematical Treasure of South India. Childhood Education, 88:5, 311.

Remerciements

Panneaux originaux et tirages fournis par Claudia Silva.
Traduction française des panneaux par Julie Janody.
Accrochage par l’équipe de la bibliothèque de Mathématiques et Informatique.